Le Voyage dans la Lune ou le Choc des cultures
Seul dans l'univers, sur notre Terre, tout tourne parfaitement rond...
... ah oui vraiment ?
Le réchauffement climatique, la pollution des terres, des mers, de l'air, la fonte des glaces, les catastrophes climatiques à répétition, la consommation de masses, l'hyper industrialisation, les guerres (celles dont on parle beaucoup et les autres moins bien médiatisées), la répartition mondiale des richesses, l'exploitation des pays pauvres, les inégalités sociales, les manifestations de contestations... Pour autant, dans chacun de ces exemples, certains pensent qu'il n'y a pas matière à s'inquiéter, que certains faits sont exagérés, déformés ou que certains actes, certaines décisions sont justifiables et que la raison et le bon sens sont de leurs côtés. Que c'est ainsi et qu'il ne peut en être autrement.
Nous sommes souvent certains qu’il n’existe que notre façon de penser, notre façon de vivre, nos codes et nos valeurs. Et c'est ici qu'intervient l’Autre, l’étranger, l’altérité. Si sa rencontre engendre souvent une friction, elle permet de se distancer des idées reçues. Il apporte un point de vue nouveau et peut nous permettre de modifier la vision de notre monde sans forcément renoncer à ce que nous sommes. Bien entendu à la condition que nous acceptions d'avoir assez de recul sur nos égos, nos certitudes, et surtout de revoir différemment nos intérêts personnels.
Nous n'avons finalement que peu évolué depuis l'époque d'Offenbach qui, à travers ses œuvres, dépeint une société en pleine révolution : de l'industrie, des mœurs avec l'émancipation de la femme, de la consommation avec l'apparition des grands magasins, de l'économie avec les premiers systèmes boursiers. Autant de sujets dont Offenbach s'empare pour décrire avec humour et dérision une révolution nombriliste, une critique de l'Homme égocentrique, toujours plus individualiste : Une société où chacun ne se soucie que de lui-même.
À la rencontre d'une civilisation extra-terrestre.
À l'heure où la totalité de notre planète a été explorée, l'ensemble des peuples et leurs diversités sur Terre connus, quelle image pourrait avoir une civilisation étrangère face à notre monde ? Que penserait-elle de nous si elle nous observait à un instant T donné. Ce que la réalité ne peut pas faire, le monde de l'Art et l'imagination, eux, le peuvent plus aisément.
Jules Verne sort son roman De la Terre à la Lune en 1865 et marque tous les esprits dont celui d'Offenbach, qui s'en inspire 10 ans après, avec Le Voyage dans La Lune. L’écrivain, au sommet de sa notoriété, envisage un moment d’intenter un procès contre le compositeur alors directeur du théâtre la Gaîté mais il n'y a pas finalement pas de suite. (Certains évoquent un arrangement à l'amiable)
La Lune est un astre -à l'époque encore vierge de toute excursion humaine- qui fait l'objet de tous les fantasmes et à l’heure de la révolution industrielle engagée en cette fin du XIXe siècle, la fascination se mêle d’ingénierie et l’idée d’envoyer un obus habité sur la lune va faire longue route... Ce que propose Offenbach en 1875 pour son opéra-comique est pour l'époque du très grand spectacle : 24 décors, plus de 70 artistes sur scène des chanteurs aux danseurs, plus de 700 costumes pour représenter les deux royaumes de la Terre et de la Lune et leurs peuples.
Car c'est ce que raconte l'histoire du Voyage dans La Lune : la rencontre inopinée entre deux peuples qui pensaient respectivement être seul dans l'univers.
Au XXe siècles c'est surtout l'industrie cinéma qui s'empare du thème de la civilisation extra-terrestre, découverte par l'homme parti en exploration dans l'espace, ou qui vient sur Terre observer qui nous sommes et/ou nous envahir. Si certains films prônent l'intelligence et la résilience de l'espèce humaine venant à bout de l'oppresseur extra-terrestre ou au contraire de sa suprématie sur l'être humain, d'autres plus subtils peignent un regard extérieur de notre civilisation, met en relief ses travers et amènent le spectateur à une réflexion sur nos responsabilités envers notre maison-mère.
Le choc des cultures
Mais revenons au Voyage dans La Lune, ses explorateurs terriens et sa Lune peuplée de Sélénites. C’est bien la rencontre entre la société terrestre et la société sélénite qui engendre d’abord des tensions et des épreuves. Deux mondes aux fonctionnements différents voir diamétralement opposés : Les habitants de la Lune comme de la Terre sont convaincus que l’autre planète n’est pas habitée, qu’ils sont seuls dans l’univers. Chacun a son système bien rodé, qui tourne bien et entend bien le garder ainsi. C'est ce dont se sert Offenbach pour créer l'absurde et l'humour. Avant d’amener à une autre façon d’envisager l’étranger. Et c'est la découverte de l’Amour qui entraine la possibilité de rencontrer l’Autre et d'apprécier sa différence. Ce qui conduit dans l'opéra à un dénouement heureux : deux sociétés, finalement apaisées, qui admirent la beauté d’un Clair de Terre...
L'Autre nous incite à nous remettre en question, prendre du recul sur nos propres modèles (sociétaux, familiaux...), quitte à prendre le risque de se perdre, de se tromper mais aussi l'opportunité de se (re)trouver, différemment. Une version améliorée de soi-même conscient de ses travers, de ses défauts, de ses manques mais aussi de ses atouts, ses acquis et de ses forces pouvant ainsi agir en toute conscience et tenter de corriger le tir. Il n'y a heureusement pas besoin de partir à l'autre bout de l'univers pour découvrir des personnes aux normes de pensées différentes de nous et susceptible d'amener à nous questionner de manière constructive. L'occasion d'une telle rencontre se situe à tous les niveaux de notre civilisation : Notre voisinage, notre réseau d'amis, nos collègues de travail, les quartiers proches de nous et les autres, les villes voisines, la culture de notre région et celle des autres, et enfin les personnes que nous sommes amenées à rencontrer dans les pays que nous traversons. Autant d'opportunités pour nous enrichir humainement.
Un jour viendra peut-être où nous vivrons une rencontre du 3e type. En attendant ce jour hypothétique, découvrons les aventures terra-lunaire que Le Voyage dans la Lune réservent à ses protagonistes orchestrée les 24 et 26 mars prochain à l'Opéra Grand Avignon (Vaucluse, France, Planète Terre) dans une mise en scène d'Olivier Fredj et sous la direction musicale d'Yves Senn
A.T.
Source : Wikipédia, Nathalie Gendrot, Olivier Fredj